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Générations de feu

Guerre d’Indochine

Guerre oubliée, l’Indochine, « l’Indo » pour ceux qui l’ont vécue, reste un exemple parfait de décolonisation ratée, sur laquelle se greffent les enjeux de la guerre froide.

Notre présence dans la région remonte à la conquête des territoires d’Extrême Orient vers la fin du XIXème siècle. Initiée par Napoléon III, poursuivie par la IIIème république de Jules Ferry, l’annexion de plusieurs royaumes du Sud-Est asiatique va permettre à l’empire français de constituer l’Indochine. A l’Ouest les protectorats du Cambodge et du Laos, à l’Est les trois provinces du Tonkin, de l’Annam et de la Cochinchine, au départ royaumes indépendants, qui formeront plus tard le Vietnam.

La France y exerce une politique d’association : c’est-à-dire en théorie une tutelle discrète et plutôt souple, qui garantit dans la plupart des provinces le maintien de rois et d’administrations locales. Dans la réalité, il s’agit d’une colonisation assez classique, surtout centrée sur l’exploitation économique : riz, poivre, thé, opium (dont la culture est à l’époque autorisée à but médicinal mais qui génére bien des trafics) et surtout l’hévéa, c’est-à-dire le caoutchouc naturel. Les propriétaires de plantations peuvent compter sur une main d’œuvre nombreuse et corvéable à merci, les coolies. Appréciés pour leur endurance et leur docilité, beaucoup de vietnamiens partent pendant la première guerre mondiale comme main d’oeuvre ou soldat pour la métropole .

Les français sont peu nombreux (à peine 30 000 personnes sur les 22 millions de la colonie en 1940) et sur place, les investissements, voies ferrées, ports, villes se concentrent là où il y a des plantations et des débouchés économiques (Le Laos, enclavé est ainsi nettement moins développé que la Cochinchine où se trouve le grand port de Saïgon). Malgré cela il faut relever aussi la mise en place d’une politique sanitaire et scolaire réelle avec la création de très nombreuses écoles franco indigènes qui permettent l’alphabétisation d’une bonne partie du pays sur un modèle original garantissant le respect de la culture traditionnelle et l’émergence d’une petite minorité de médecins ou d’ingénieurs indochinois. (Photo : jour de paye dans une plantation d’hévéa, années 30)

Dès les années 30, des mouvements nationalistes, notamment d’inspiration communiste contestent la présence française. La figure d’Ho Chi Minh (« celui qui éclaire ») se dégage progressivement comme leader des indépendantistes. Nguyen Sinh Cung, qui prend le surnom de Ho Chi Minh lors de ses années de clandestinité, est un fils de lettré ruiné qui a fait des études en autodidacte en France et en Angleterre où il travaille comme technicien photo pour subvenir à ces besoins. Il s’engage dans le parti communiste en 1920 et quand il revient en Indochine dans les années 30 c’est avec l’idée d’y imposer l’indépendance et le marxisme. C’est lui qui fonde en 1941 la ligue pour l’indépendance du Vietnam abrégé en Viet Minh.

Lors de la seconde guerre mondiale, les japonais balayent la présence française en Indochine. Celle-ci reçoit l’ordre du gouvernement de Vichy de collaborer avec le Japon, comme la métropole le fait avec son allié allemand. Pour la première fois, des « blancs » doivent obéir à des « jaunes » et ce sont les mouvements nationalistes et notamment communistes qui animent la Résistance face à l’envahisseur, avec l’aide financière et militaire des Etats-Unis. L’armée française qui entend maintenir son contrôle de l’Indochine après la libération de la métropole est même chassée du pays par les japonais suite à de violent combats en mars 45.

Lorsque les japonais sont battus en 1945, le gouvernement français de de Gaulle entend bien revenir à la situation d’avant guerre mais sur le terrain, l’administration et l’armée française sont affaiblies et décrédibilisées. D’autant que le Vietminh dirigés par Ho Chi Minh, très implanté au Nord du pays s’est emparé des grandes villes et proclame unilatéralement l’indépendance le 2 septembre 1945.

L’intervention de la Chine dans le Nord du pays permet brièvement un rapprochement entre Ho Chi Minh et les français. En 1946, des négociations commencent à Fontainebleau. Le négociateur Jean Sainteny et Hô Chi Minh signent les accords du 6 mars 1946 pour permettre une indépendance effective tout en maintenant des liens forts, notamment économiques avec la France au Sein de l’Union Française. Ce que les britanniques feront de leur côté en Thaïlande et en Birmanie.
Le Cambodge et le Laos obtiennent de leur côté leur autonomie dans ce cadre, se dotant de régimes monarchiques directement hérités des protectorats. La présence française y étant très réduite, cette indépendance se fait sans heurts en 1949.

Le temps des négociations, le 24 mars 1946 – De gauche à droite : Hô Chi Minh, Jean Sainteny, le Général Leclerc et l’amiral d’Argenlieu
En Annam, Tonkin et surtout en Cochinchine, qui formèrent longtemps des royaumes rivaux et où les divisions internes sont plus profondes, la perspective d’une unification en un seul Vietnam est plus difficile à faire passer pour la bourgeoisie indigéne, surtout sous l’égide d’un parti communiste. Ces accords inquiètent aussi les tenants d’un maintien colonial traditionnel qui craignent d’être chassés de leurs postes ou de leurs terres. D’autant que Ho ne cache pas son projet d’unifier les 3 « ki » (provinces) sous sa seule autorité.

Ce « parti colonial » suscite la création d’une république indépendante de Cochinchine au Sud, là où se trouvent la plupart des européens. Pour Ho Chi Minh c’est une provocation. Les incidents se multiplient sur le terrain entre l’armée française et les partisans du Viet Minh. Après une fusillade où des marins français sont tués lors de l’arraisonnement d’une jonque du Viet Minh, le haut commissaire en Indochine, Thierry d’Argenlieu qui considère l’idée de négocier avec des communistes comme une reculade inacceptable, fait tirer par la marine français sur Haïphong où a eu lieu l’incident. Il y a 6000 morts. En retour, les partisans du Vietminh massacrent les européens présents à Hanoï leur fief. On estime à 400 le nombre des victimes et des disparus.

L’engrenage amène à la guerre. Fin 46, Ho Chi Minh appelle à la guérilla contre la présence française alors que la France expédie un corps expéditionnaire rétablir l’ordre. Avec la division de la guerre froide qui commence, les français reçoivent le soutien des américains, le Viet Minh celui de l’URSS puis en 1949 de la Chine devenue communiste.

L’armée française est bien organisée mais trop peu nombreuse malgré l’aide en armement américaine et les renforts des troupes anticommunistes cochinchinoises. Elle tient le Sud et les grands axes. En face le Vietminh, dirigé par le général Giap pratique une guérilla très inventive et efficace. Elle tient le Nord du pays et recrute dans les campagnes en jouant sur la fibre patriotique. L’«oncle Hô», comme on le surnomme lance une déclaration sans équivoque : «Luttez par tous les moyens dont vous disposez. Luttez avec vos armes, vos pioches, vos pelles, vos bâtons. Sauvez l’indépendance et l’intégrité territoriale de la patrie. Vive le Vietnam indépendant et indivisible. Vive la démocratie ». Elle se montre aussi redoutablement inventive et combative quand il s’agit de se fondre dans la jungle ou de se cacher entre deux coups de main. Les vélos transportant le matériel militaire russe ou chinois vont devenir l’un des symboles de cette armée populaire.

En France la guerre se déroule dans une relative indifférence, voire une certaine hostilité. Le parti communiste français ouvertement anticolonial apporte son soutien aux indépendantistes et organise des grèves sur le port de Marseille pour empêcher le ravitaillement des troupes. Cette guerre coûteuse et mal engagée est une épine dans le flanc de la IVème république qui cherche d’abord à reconstruire le pays. De plus l’instabilité politique constante entraine des changements constants de choix stratégiques qui paralyse l’efficacité de l’armée française.

C’est l’armée de métier qui se bat, à laquelle s’ajoutent des volontaires, des troupes coloniales (notamment des algériens qui ensuite rejoindront les mouvements indépendantistes de leur pays une fois démobilisé en ayant appris la technique de la guérilla en combattant le Vietminh), voir même de nombreux allemands de la Wermarcht qui, après la seconde guerre mondiale, n’arrivent pas à se réacclimater à la vie civile et ont rejoint la légion étrangère française. Le contingent français culminera à 250 000 hommes.

La guerre s’enlise et s’avère meurtrière pour les deux camps qui commencent à partir des années 50 à vouloir négocier. Mais chacun cherche à être en position de force à la table de négociation et veut remporter une victoire marquante sur le terrain.

En 1953, l’Etat-Major français décide de frapper un grand coup en s’emparant de la cuvette de Dien Bien Phu pour empêcher les Vietnamiens de pénétrer au Laos. C’est de plus le seul endroit plat pour installer un aérodrome dans la région. Mais c’est aussi une vallée entourée de collines qui peut se transformer en piège pour les soldats retranchés. Des milliers de parachutistes s’emparent de l’endroit et s’y fortifient. Mais les Vietnamiens dans des conditions extraordinairement difficiles, à dos d’homme ou à travers de tunnels creusés dans la boue des collines installent au sommet de celles-ci une artillerie qui s’abat sur les français pris au piège et détruit le terrain d’aviation.

Malgré une résistance héroïque de 57 jours les troupes françaises finissent par être submergées. Les prisonniers seront traités abominablement par le parti communiste indochinois qui veut rééduquer ces « impérialistes ». Une marche de 1200 km au travers de la jungle avant d’être parqué dans des conditions atroces dans des camps où le taux de mortalité dépasse 60% sous la surveillance de commissaires politiques qui tentent d’endoctriner les survivants au marxisme.
Les paras français, largués sur Dien Bien Phu

La chute de Dien Bien Phu marque la fin des espoirs français. Le Président du Conseil nouvellement élu Pierre Mendès-France qui mène les négociations avec les représentants vietnamiens cherche à négocier le moins mauvais compromis. Ce sont les accords de Genève. Le Vietnam est séparé en deux suivant la ligne de front de l’époque. Le Nord communiste, le Sud devient un régime nationaliste et prétendument démocratique sous l’autorité de l’empereur Bao Dai, bien vite renversé par des militaires plus énergiques dans leur lutte contre le communisme et qui ont le soutien des Etats-Unis.

La France quitte la région, son entêtement et ses maladresses lui ont empêché de voir l’aspect inéluctable de la décolonisation du Vietnam. Le caractère communiste du Viet Minh ayant ensuite transformé ce conflit en une lutte d’influence entre les deux blocs. On estime qu’au total 500 000 personnes ont trouvé la mort lors du conflit dont 49 000 soldats français.

A peine les français partis, les deux Vietnam rentrent en conflit. Quelques années plus tard, les américains voulant soutenir le Sud Vietnam contre les communistes du Nord s’enferreront à leur tour dans cette région. ce sera la guerre du Vietnam.